Les phosphatidyl-éthanols (PEths)
Avez-vous rêvé d’un marqueur des consommations d’alcool, significatif, spécifique, proportionnel aux consommations, aux risques et aux dommages ?
Résumé
Vis-à-vis des consommations d’alcool, la médecine et la biologie étaient en défaut. Les outils diagnostic pouvaient conduire à des sous-évaluations comme à des surévaluations. Gamma GT et VGM ne sont pas spécifiques. Les phosphatidyléthanols (PEths) ont été découverts en 1983, dans les cellules de différents organes de rats exposés à l’alcool. Les PEths ont été explorés pendant vingt ans pour comprendre leurs incidences histo-pathologiques. En 1997 parait la première étude sur la place de la mesure du PEth dans le sevrage. En 2018, l’apport du prélèvement sec (DBS Dry Blood Spot) permet de conserver facilement les PEth, la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC/MS) donne des mesures très précises. Les phosphatidyléthanols sont disponibles. Ils mesurent précisément les relations des cellules du consommateur avec l’alcool. Outil de mesure, les PEth doivent devenir des outils de dialogue et de prévention des risques de l’alcool.
Introduction
Des avancées scientifiques et techniques bouleversent les soins et la relation humaine à des comportements ou des pathologies. On connait les apports de l’hémoglobine glyquée dans le diabète, des charges virales dans les infections par le VIH ou le VHC. Que ferons nous, consommateurs ou soignants, d’un marqueur biologique aussi informatif vis-à-vis de l’alcool ?
La consommation d’alcool intervient sur les données sociales, comportementales, psychiques, physiques et médicales. Disposer d’un marqueur robuste, parfaitement spécifique, proportionnel aux consommations du mois précédent, apporterait un profond changement de paradigmes dans les relations des personnes concernées avec le produit alcool. Que dire si ce marqueur évoque en plus les lésions biologiques liées à l’alcool et renvoie à des données de prévention nutritionnelles ? L’alcool pourrait apparaître sous l’aspect d’un anti-nutriment.
Les phosphatidyl-éthanols (PEths) se forment quand l’éthanol remplace l’eau au niveau des membranes cellulaires. Les PEths sont spécifiques du contact des lipides membranaires avec l’éthanol in vivo et in vitro. A ce jour, aucune interférence, avec d’autre pathologie, molécule ou médicament n’est connue. Sur les hématies les PEths persistent 3 à 4 semaines.
Les publications récentes reconnaissent le phosphatidyl-éthanol (PEth) comme marqueur de référence des problématiques liées aux consommations d’alcool, en médecine, pour la justice, auprès des consommateurs eux-mêmes. Comme référence en justice, le processus se met en marche en Suède, en Grande Bretagne, aux USA, en Allemagne et en Suisse.
Nous rapportons une synthèse de la littérature disponible et une application pratique effectuée dans notre consultation d’addictologie libérale.
1. Histoire des phosphatidyl-éthanols
Les PEths ont été découverts dans les années 80. Les cytochimistes se sont intéressés aux modifications de structure des membranes cellulaires. Jusque-là, on attribuait les changements de comportements induits à l’effet fluidifiant de l’alcool sur les lipides. Les biologistes ont identifié les changements dans la composition des lipides membranaires : les phosphatidyl-éthanols.
Ces changements affectent les membranes externes, des organites et du noyau cellulaire. 48 formes de phosphatidyl-éthanols ont été identifiées, seul, le PEth dominant est mesuré (16:0/18:1). Les PEth se forment dans les deux heures qui suivent le contact avec l’alcool, ils ont une durée de vie importante (demi-vie moyenne 10 jours pour PEth 16:0/18:1). Les contacts répétés avec l’alcool accumulent les PEths.
Le début de l’intérêt clinique pour les PEths apparaît dans les années 2000, comme marqueur des consommations d’alcool accompagné des difficultés techniques, l’ascension depuis 10 ans correspond à l’évolution des technologies qui permettent des mesures valides. L’arrivée de dispositifs de prélèvements et de transports précis et simples ouvre vers une large utilisation.
2. Physiopathologie des phosphatidyl-éthanols
Les PEths se produisent quand l’alcool rencontre la phosphatidylcholine, catalysé par la phospholipase D (PLD). La PLD se trouve dans les membranes, régulée par la protéine kinase C (PKC). PKC catalyse la phosphatidylcholine en choline et acide phosphatidique (AP). La choline, (alcool amine, partie des vitamines B), garant des membranes cellulaires, fondation de l’acétylcholine, messager cellulaire, comme l’AP, acide gras, responsables des mouvements et de la croissance cellulaires.
Les PEths se forment dans toutes les membranes : synaptiques, plaquettes, leucocytes, érythrocytes, cardiaques, pancréatiques, hépatiques…. La résorption des PEths se fait par la phosphatidyl-cholinephospholipase-C (PLC) en 1/2 à 2 heures dans la plupart des tissus. Les globules rouges sont dépourvus de PLC, la demi-vie des phosphatidyléthanols (in-vivo) est de 4 jours, ce qui permet une évaluation des consommations sur les trois semaines passées.
Les membranes cellulaires sont des structures biologiques très actives in-vivo et in-vitro. La congélation à -80° des prélèvements a été nécessaire. Par contre, les PEths se conservent parfaitement et longtemps (6 mois) sur des prélèvements séchés à l’air libre et à température ambiante.
3. Intérêts cliniques du PEth
L’alcool et inducteur de troubles du comportement et de prises de risques. 80% des violences domestiques, 50% des accidents de la circulation. L’alcool est générateur et cofacteur de pathologies dans 25% des cas. La discussion sur le nombre d’unités d’alcool qui ne serait pas à risque tend vers zéro. Parallèlement, les allégations d’effets protecteurs de l’alcool apparaissent infondées. Disposer de marqueurs significatifs et sensibles sur les consommations l’alcool changerait les relations à ce produit. Depuis les années 2000, les études se multiplient pour comparer la place des marqueurs.
- – En médecine, il apparaît que deux consultants sur trois reconnaissent leurs consommations (ou l’absence de), les marqueurs le confirment. Pour un tiers des consultants les marqueurs directs révèlent une consommation non notifiée par les déclarations et tests déclaratifs.
- – En obstétrique et périnatalogie, les consommations, quand elles sont recherchées, sont davantage reconnues (9/10). Les marqueurs directs permettent de repérer précocement les risques liés aux alcoolisations au cours de la grossesse. Les marqueurs positifs incitent à l’accompagnement et aux soins, des éléments de réduction des risques et des dommages importants.
- – Dans les situations médicolégales, où les consommations d’alcool sont problématiques, l’attribution et les retraits de permis de conduire, de gardes d’enfants, de jugement pour violences, l’aptitude aux professions où la vigilance est vitale.
4. Place des marqueurs des consommations d’alcool
A ce jour, nous disposons :
- Les marqueurs immédiats (et transitoires) des consommations, mesure de l’alcoolémie, l’alcool dans l’air expiré et des manifestations psychomotrices (des appareils d’évaluation se développent) ;
- Les déclarations et les questionnaires nécessairement subjectifs (AUDIT, FACE, CAGE) ;
- Les marqueurs biologiques indirects, volume globulaire moyen (VGM), les enzymes hépatiques (SGOT, SGPT, GGT), non spécifiques, peu sensibles, expression tardive des consommations excessives et des atteintes organiques. Ces marqueurs sont au-delà du risque, ils révèlent des pathologies.
- Les marqueurs biologiques directes :
– La transferrine déficiente en carboxylase (CDT) est sensible à des consommations importantes au cours des deux dernières semaines, spécifique et peu sensible. Le CDT est inconstant (30% de faux négatif), la normale du CDT est sujet dépendant, il augmente pendant la grossesse des femmes abstinentes.
– L’ethylglucuronide (EtG) dans les cheveux et les urines, ethylsulfate dans les urines (EtSU), sensibles, spécifiques, repérables dans les urines jusqu’à 6 jours après les consommations. La grande sensibilité ne permet pas de faire la différence entre grande et faible consommation, ni avec des contacts cutanés ou buccaux avec l’éthanol. EtG persiste dans les poils et les cheveux, mais influencé par les contacts avec des lotions alcoolisées et les colorants.
– Le phosphatidyléthanol est spécifique des consommations d’alcool. Les PEths se forment quand les membranes cellulaires rencontrent de l’éthanol, dans cette circonstance et aucune autre.
- Le PEth persiste dans les membranes des hématies, sa mesure reflète les consommations des quatre semaines passées.
- Le PEth est significatif d’un désordre métabolique induit par les consommations d’alcool.
- Le PEth exprime les risques et les dommages biologiques.
5. La place des mesures du PEth aujourd’hui
Les laboratoires de toxicologie sont équipés des technologies de mesures des molécules, la mesure des PEths en fait partie. Il s’agit de chromatographie liquide (CL) associée à la spectrométrie de masse (SM).
Les prélèvements se font sur une goutte de sang capillaire, au bout du doigt. Un dispositif médical calibre la quantité de sang prélevée, ensuite séchée. Les échantillons secs de sang (dry blood spot, DBS) permettent de stabiliser de nombreuses substances. Les DBS permettent les prélèvements, la conservation et la circulation des échantillons vers les laboratoires d’analyses, outils précis et économiques.
Dans le premier trimestre 2019, nous avons proposé à 6 personnes consultant notre cabinet médical le dosage du PEth en expliquant l’objectif de cet examen : expérimenter un dispositif de prélèvement, l’envoie par courrier au laboratoire, les informations que nous pourrions retirer ensemble du résultat. Le dispositif HEMAXIS permet un prélèvement de sang capillaire, calibré à 10 ul, transféré sur un buvard. Les prélèvements secs sont transmis par la poste. Les dosages ont été faits au laboratoire de toxicologie du Centre Romande de Médecine Légale (Genève, Lausanne).
6. Conclusions
La littérature et un début d’expérience montrent :
- Le PEth est significatif des modifications biologiques provoquées par l’alcool,
- Le PEth est spécifique des consommations d’alcool,
- Le PEth mesuré sur les hématies est proportionnel aux consommations des semaines passées,
- Les prélèvements étalonnés (10uL), séchés, préservent une excellente qualité de mesure.
Les PEths nous apportent des informations nouvelles :
- Ils expriment les réalités des consommations.
- Ils sont proportionnels aux quantités d’alcool consommées
- Lors du sevrage, ils régressent lentement, un contrôle à 4 semaines peut révéler des traces de PEth
- Ils manifestent les lésions cellulaires provoquées par l’alcool.
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